Lettre aux amis
Février 2015
Chers amis,
Voilà six mois que je ne vous ai pas écrit. Les jours, les semaines, les mois ont passé, emportant un quotidien sur lequel il y a peu à dire. Hormis la pratique ordinaire et quotidienne de notre vie monastique, nous avons été occupés par les jeunes frères qu’il faut former, encourager et soutenir. La France se relève de l’émotion causée par des attentats iniques. Passé la surprise, il n’a pas manqué de voix chrétiennes pour s’exprimer avec bon sens. Qu’en pensent les moines ? À Sept-Fons où je ne suis pas allé depuis l’ordination diaconale de frère Daniel, en août dernier, comme à Nový Dvůr, nous essayons de comprendre et de réagir. Comme face à n’importe quel drame, certains seraient tentés de se dire : « Ce n’est pas grave ! », et d’autres « Ce n’est pas vrai ! ». La tentation est de s’entretenir dans l’insouciance ou de céder à la peur. Le siècle dernier nous a vu tomber dans l’un ou l’autre de ces pièges.
Être ou ne pas être CHARLIE. Sitôt après les événements qui nous ont tous bouleversés, j’ai dit ceci aux frères de Nový Dvůr : Je serais CHARLIE si tous ceux qui sont descendus dans la rue s’étaient déclarés, il y a quelques mois, CHRÉTIENS D’IRAK. Si les cinquante chefs d’État venus défendre la liberté d’expression à Paris étaient d’abord allés en Chine, pour la défendre aussi à Hong-Kong et sur le continent. Si les médias accordaient la même attention à deux mille victimes massacrées en Afrique, comme à vingt en Europe. Si la planète qui a tremblé sur la détresse des pays développés savait aussi se pencher sur celle des jeunes qui risquent de devenir terroristes... Je suis CHARLIE contre la violence aveugle, surtout si elle prétend se réclamer de Dieu, sans l’être, tout en l’étant. Je crois que tout homme est cause responsable de ses actes, que la frontière entre le bien et le mal traverse le cœur des agresseurs et des victimes, que ce mouvement rassurant de solidarité fraternelle ne résoudra pas les vrais problèmes, à moins qu’il aide à poser la vraie question : Qu’avons-nous fait pour en arriver là ?
Nous savons bien que la vraie solution n’est ni ici, ni là. Saint Benoît, qui vécut au temps des invasions, les Barbares assiégeant Rome, ne fait pas mention de ces troubles dans la Règle. Sans qu’il cesse de s’intéresser à la réalité qui l’entoure, cette réserve incline un moine à ne pas s’engager dans des eaux étrangères à la vie monastique. Pourtant, et ce n’est pas contradictoire, une conviction implicite court à travers la Règle : pour agir sur les réalités supérieures, apparemment inaccessibles, la meilleure voie consiste à mettre en œuvre des attitudes personnelles, quotidiennes, humbles, en contact avec la réalité concrète. Saint Benoît a la conviction que tout se tient, qu’aucune attitude spirituelle féconde ne peut s’établir sur le fondement de comportements déformés (courbes, pour reprendre un mot de saint Bernard), qu’il s’agisse de vie morale, d’équilibre psychologique, de justice sociale, autrement dit, d’attention aux autres. À moins d’être une personnalité publique, religieuse ou politique, placée aux commandes, un homme n’a d’autres moyens d’agir pour le bien de ses proches que personnels, dans le milieu où il vit, exerçant une influence qu’on pourrait qualifier de microcosmique. Penser pour autant que ce mode d’agir n’a pas d’efficience serait une grave erreur. Les dissidents des régimes totalitaires l’ont prouvé. Quant au moine, il accepte de tourner le dos aux moyens ordinaires, croyant que sa vie tout entière, et pas seulement sa prière, a une efficience surnaturelle. Sans cette conviction, parlerait-il de « suppléance », de cette fécondité cachée qu’il exerce sur ses contemporains ? Nous avons une responsabilité à exercer, du seul fait que nous tenons à des principes vrais, et vivons en cohérence avec eux. Cet effort peut coûter, et suscite souvent de vives contradictions. Même si le champ d’application de cette responsabilité semble limité, ces limites n’en réduisent pas l’influence. D’autres « dissidents » ont résisté et résistent aux effets de la crise de société et à ses conséquences dans la vie religieuse de l’Occident chrétien. Qui sait voir et analyser les vrais enjeux, agir sur eux à seule fin de redresser, ne serait-ce que pour lui-même, la dignité de sa propre vie, agit comme avec un levier sur le destin d’autres que lui, moins capables de réagir. Que ces témoignages de droiture soient entendus ou demeurent muets n’enlève rien à leur efficience.
Nous venons de fêter le trentième anniversaire de la mort de Père Jérôme (deux livres viennent de sortir à son propos, une biographie signée par Anne Bernet, et Portrait, un ouvrage de photos, de textes et de témoignages). Lorsqu’en 1942, il apprit par des prêtres fréquentant l’hôtellerie que les nazis exterminaient les juifs, ce fut comme si la foudre tombait à ses pieds. Il avait trente-cinq ans, quand la vigueur est intacte et les passions vives. Il se dit : « Toi, tu es ici, et, en ce moment, il y a des hommes, des femmes, de ton âge, qui, sans raison, souffrent et meurent dans l’horreur. Il monta, après complies, trouver un vieux Père en qui il avait confiance. Celui-ci l’écouta, resta longtemps silencieux, puis lui dit : « Mais vous, pendant ce temps, ici, est-ce que vous vous amusez ? Est-ce que vous dansez, est-ce que vous en profitez, ici, pendant que tous les autres souffrent ? Alors, restez tranquille devant Dieu. Si vous menez, ici, avec un zèle normal, sans en rabattre de vous-même, votre vie monastique et les exigences de votre vocation, vous pouvez être tranquille, Dieu ne vous reprochera rien, ni votre conscience. » Nous voudrions que notre attitude s’inspire de son exemple.
Et la vôtre ? Le Père Maître de Sept-Fons que j’interrogeai l’autre jour sur la nature de la pauvreté me répondit ceci : « Notre exercice de la pauvreté, c’est la pratique la plus rigoureuse de notre vocation singulière. Pour les Jésuites, le vœu d’obéissance, à la lettre, au Pape ; pour les Franciscains, aller prêcher en parlant aux oiseaux ; pour nous, l’office divin, reposant sur la prière personnelle et une stricte clôture. Je plaisante, mais il y a de ça. » C’est dans ce sens que chacun de nous doit réfléchir et agir. Je vous laisse une réflexion tirée de mes lectures, due à Chantal Delsol : « Souviens-toi du futur ! (cf. Dt 25,17-19) [...] N’oublie pas que la suite de l’histoire est entre tes mains : ne te repose pas ; tiens tes promesses ; sois fidèle à toi-même. « Plus jamais ça ! », dit la Vulgate contemporaine après le XXe siècle et la Shoah, ce qui signifie : n’oublie pas que tu n’es pas soumis au destin ; il dépend de toi que les mêmes événements ne se reproduisent pas ; ne t’endors pas, mais veille au contraire, car l’histoire porte ton nom. »
Le Père Prieur de Sept-Fons et frère Aloïs viennent de partir pour le Venezuela où ils demeureront trois mois avec les frères du monastère trappiste de Los Andes. Père sébastien de Sept-Fons et notre prieur reviennent du Sénégal. Père Procope vient de s’envoler pour l’Asie, dans un autre monastère assumant d’exigeantes conditions. Accompagnez-les de votre prière. Quand vous nous aidez, c’est aussi ces monastères que vous aidez. Pour une fois, nous ne parlerons pas de nos chantiers. Non qu’ils n’existent pas, mais parce qu’il n’est pas utile de revenir toujours sur ce sujet. Je vous remercie pour votre fidèle soutien et vous assure de notre prière,
f. M.-Samuel,
abbé de Nový Dvůr
Nous vous proposons encore quelques textes:
Pour en savoir plus sur les livres de Père Jérôme, cliquer ici.
Pour lire l’homélie du 25ème anniversaire de la mort de frère Théophane, cliquer ici.
Pour lire l’homélie du R.P. Abbé de Sept-Fons pour le 30ème anniversaire de la mort de Père Jérôme, cliquer ici.
Pour lire la quartrième lettre du Père maître de Sept-Fons, au P. Lev, P. Maitre de Nový Dvůr (sur les rapports entre l’Anné et le Maître des novices), cliquer ici.
Pour faire un don, cliquer ici.
25e anniversaire du décès de frère Théophane
Homélie du R.P. Abbé de Sept-Fons pour le trentième anniversaire de la mort de Père Jérôme
Quatrième lettre du Père Maître de Sept-Fons au P. Lev, Père Maître de Nový Dvůr
Le 2 septembre 2014
Automne 2013
Le 10 mars 2013
Quelques semaines avant Noël 2012
Le 2 septembre 2012, solennité de la dédicace de Nový Dvůr
Pentecôte 2012
Le 11 janvier 2012
Le 30 septembre 2011, fête de saint Jérôme
1er mai 2011
Le 2 septembre 2012, solennité de la dédicace de Nový Dvůr
Le 2 septembre 2010
Mai 2010
Le 29 janvier 2010
Pentecôte 2009
Février 2009
Mai 2008
Le 2 février 2008
Le 2 septembre 2007
Le 5 juillet 2007
Le 2 septembre 2006
25. 3. 2006
Le 2 février 2006
Le 2 septembre 2005